Introduction : le contexte d’une production architecturale.

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De la formation : éducation de l’œil !
Dans les écoles d’architecture françaises des années 60, les enseignants des ateliers d’architecture (patrons et maîtres !), s’affichaient dans leur grande majorité, apôtres des « villes nouvelles », qui poussaient un peu partout en France, et particulièrement en région parisienne. Pour les étudiants que nous étions, celle de Sarcelles nous était montrée comme un des modèles du genre. Elle était devenue le lieu privilégié de nos sorties pour voir « l’architecture et l’urbanisme modernes » : des tours et des barres qui obstruaient l’horizon, des centres commerciaux déployés sur d’infinis espaces, des aires sèches de parkings. Il y avait aussi le collège, la crèche, ainsi que des d’autres équipements publics. Dans le hall de la préfecture, la maquette de cette ville exhibait un plan de masse qui procédait d’imbrications des volumes bâtis habiles, abstraites et aléatoires.

Quel sens était derrière ces imbrications ? Quel processus présidait à leur élaboration ? – A l’époque, de bien indélicates interrogations, que le disciple se gardait bien d’exprimer devant son maître. La formation de l’architecte visait essentiellement l’éducation de l’œil ! Voilà tout !
- Ne visait-elle pas surtout celle de l’indifférence ! Indifférence vis à vis des multiples dimensions de l’acte architectural.

Et c’est en dehors des écoles d’architecture qu’on rencontrait écho à ses interrogations. Lecorbusier (malgré ses œuvres architecturales marquantes) multipliait conférences, interviews et expositions sans convaincre les Pouvoirs, ni de la fiabilité de son urbanisme de tracés, ni de ses « machines à habiter ». D’autres noms moins illustres, apportaient différentes nuances au concept de « ville nouvelle », sans remettre en cause le système de pensées général qui le sou tendait.

L’exercice au sein de l’Administration marocaine de l’urbanisme et de l’habitat : un complément de formation.
Dans le sillage du discours de la Charte d’Athènes, Michel Ecochard et ses héritiers, militants plus qu’urbanistes, prêchaient l’universalisme des besoins humains et des réponses socio économiques et techniques à leur apporter. Tracés régulateurs et grandes compositions urbaines à la Prost sont abandonnés, au profit d’une planification urbaine toute de fonctionnalité, d’hygiène et de sécurité. Une réglementation sophistiquée et inopérante régissait l’urbanisme voulu pour le Maroc, urbanisme devenu au fil du temps celui de la gestion des interdits.

En dehors de l’administration publique, dans le secteur privé, toute une génération d’architectes d’après-guerre, français pour la plupart, produisait à travers la commande étatique en équipements publics, des formes architecturales qui avaient ici, toutes les marques du « modernisme » pratiqué en banlieues européennes : espaces fonctionnels, mise en exergue de la structure porteuse dans laquelle le béton brut était signe d’innovation, une expression extérieure cubique et dépouillée.

Les ressources inépuisables de cette architecture, libérée de toute contrainte académique, adossée aux valeurs universelles de progrès de l’époque, sont à l’évidence, les principales raisons du mouvement d’adhésion qui lui a été apportée chez nous. Les pouvoirs publics et dans une moindre mesure l’opinion publique, qui revendiquaient l’accès à la modernité comme facteur d’émancipation, ont souscrit à cette architecture. La reconstruction de la ville d’Agadir après le séisme qui l’a frappée en 1960 est éloquente à ce sujet.

Les années 70 : les dilemmes
Les premières contestations au mouvement moderniste vont apparaître et durer pendant toute la décennie soixante dix. Elles proviennent de facteurs divers dont notamment :

-les dilemmes tradition-modernité et recherche identitaire-ouverture, qui prenaient une place centrale dans les cercles de réflexion de créateurs, ce, dans tous les domaines.

-au sein de l’administration de l’urbanisme et de l’habitat, le centre d’études, de recherche et de formation (CERF), animé par de jeunes architectes dont des coopérants français et belges, s’interrogent quant à la l’efficience des instruments de la planification urbaine en vigueur, et aussi quant à l’adéquation entre les potentialités patrimoniales locales et l’orientation moderniste en vogue.

-il y a également l’arrivée sur le marché du travail, en provenance de France surtout, de toute une nouvelle génération de jeunes architectes marocains, nourris des enseignements de Mai 1968. Moins par leurs travaux que par leurs prises de positions publiques (au sein de l’association nationale des architectes et urbanistes, l’ANAU), ils marquent une franche démarcation de leurs ainés en exercice.

-enfin et ceci restera le plus déterminant, sont annoncées dans un discours officiel en 1974, les prises de positions de feu S.M le Roi Hassan II, préconisant la spécificité que doit revêtir l’architecture marocaine : celle d’une modernité, empreinte des attributs très précis de la tradition constructive des villes impériales (usage de l’arc, de la tuile verte comme matériau de couverture, parements en zellige, etc.).
Les prises de positions royales, interprétées à la lettre par les « commissions d’esthétique » de certaines villes, les conduisent à opposer « refus pour non-conformité architecturale » à bon nombre de projets jugés non marocanisants.

La conjugaison de ces facteurs affecte fortement les concepteurs. Le discours sur l’architecture se fait confus. Il en a résulté une production architecturale d’amalgame qui marque aujourd’hui encore le paysage urbain des villes marocaines.

Il est à préciser que ces considérations restent cantonnées aux réalisations architecturales à caractère public et officiel, et ne concernent pas l’essentiel de ce qui se construit au Maroc dans les quartiers périphériques des grandes villes : l’habitat du grand nombre, auto-construit, sur de grandes aires de lotissements. Simpliste par l’empilement continu et en alignement d’étages cubiques habités sur des rez-de-chaussée commerciaux, cet habitat, par la catégorie formelle qu’il a répandu sur tout le territoire national est souvent décrié, bien que, à bien des égards, il reste méritant.

L’hybridation
Dans la décennie 80 et jusqu’au milieu des années 90, on n’enregistrera pas d’avancée notable dans la clarification des idées qui agitaient le champ de l’architecture ; bien au contraire, à leur exacérbération.
Les Pouvoirs publics y interviennent alors directement, l’orientant de plus en plus vers cette supposée « marocanisation », au nom de l’authenticité, et vers plus de réglementation.
L’architecte français Michel Pinceau, à travers ses œuvres (particulièrement les sièges des communes de Casablanca ou le pavillon marocain de l’exposition universelle de Séville), élabore le « canon » à suivre. Bon nombre d’architectes lui emboîtent le pas ; Agissant souvent dans l’urgence, ils improvisent des formes architecturales d’hybridation, incertaines.

L’engouement pour l’architecture de l’époque coloniale et sa patrimonialisation, revendiquée à juste titre par des associations de professionnels marocains de renom, a servi aussi d’alibi à cette hybridation.

Certains architectes sauront prendre leurs distances vis-à-vis de cette orientation. Ils opèrent un repli sur eux-mêmes et produisent des formes très fortement inspirées de celles qui se font en Europe, avec les mêmes tics.

Une amorce d’ouverture
Vers la fin des années 90, une amorce de décrispation de la situation est entamée. Elle se poursuit de nos jours. De vastes chantiers d’équipements publics sont lancés : sièges d’administrations ou de grandes banques, complexes touristiques gigantesques, urbanisation d’importants pôles structurants de villes, etc.

Les maîtres d’ouvrages de ces grands chantiers, subitement ivres de modernité, ou ayant pris conscience de la plus value qu’apporterait à leur image, en termes de communication et de marketing, une certaine « qualité architecturale », font appel aux grands noms de l’architecture, mondialement connus, pour la réalisation de leurs projets. L’ouverture ainsi faite, malgré toutes les controverses qu’elle suscite, a le mérite de libérer actuellement les différents intervenants des dilemmes des époques antérieures.

Quel sera l’impact sur l’environnement (culturel surtout), des formes architecturales nouvelles qui en résultera ? – à l’évidence majeur, vues l’échelle des transformations, de toutes sortes, qu’elles impliquent.

En parallèle à ces grands chantiers, la promotion immobilière, connaît une expansion sans précédant. Tributaire d’une logique de profit, elle fait peu cas des préoccupations architecturales du milieu, et reproduit, ici au Maroc et aujourd’hui encore, les stéréotypes d’habitat des années d’après guerre en Europe.
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